- Le Temps -
Despite its initial position facing the upcoming competition, Nespresso has modified its coffee machines so that to jam competitors coffee capsules.
La deuxième saison de la guerre des clones contre Nespresso a commencé. Elle s’est ouverte sur une série de revers inattendus pour la filiale de Nestlé. Début mars, Denner a finalement reçu l’autorisation de commercialiser ses capsules compatibles. Puis, jeudi dernier, des huissiers ont procédé à des perquisitions dans les boutiques de la marque à Paris. Tuyautées par le suisse Ethical Coffee Company (ECC), les autorités françaises enquêteraient sur un système anti-concurrence introduit par Nespresso dans ses machines les plus récentes. Des recherches du Temps confirment que Nespresso a bel et bien équipé ses machines d’un dispositif ayant pour effet de rendre plus difficile l’usage de dosettes concurrentes.
Mercredi matin, dans les allées du supermarché Casino de Divonne. Un client remplit son chariot de boîtes «L’Or Espresso», la marque de dosettes compatibles du groupe américain Sara Lee. Pourquoi choisir les capsules Sara Lee plutôt que celles du suisse Ethical Coffee, présentes sur le rayon d’en dessous? «Oh, celles-là? Plus jamais! Elles restent coincées dans ma machine, et c’est une plaie de les ressortir à coups de cuillère, raconte le client. Avec celles de Sara Lee, je n’ai plus ce problème.»
Dans une interview accordée au Temps samedi dernier, le directeur Richard Girardot promettait que Nespresso n’utiliserait pas d’artifices techniques pour empêcher l’usage de capsules compatibles sur ses machines: «Il faut être plus innovateur que cela, déclarait-il alors. L’option existe. Mais actuellement, ce n’est pas notre position.»
Il suffit de glisser un doigt dans le réceptacle des machines actuellement sur le marché pour se rendre compte que cette affirmation est, au mieux, une demi-vérité. Sur la vingtaine de modèles de la gamme Citiz que nous avons inspectés cette semaine, près de la moitié présente des aspérités au fond de la cage à capsule. Ces petits becs de plastique, appelés harpons dans le jargon technique, ont pour effet de coincer les capsules concurrentes dans la cage après utilisation. Dans certains cas, ceux-ci empêchent la dosette de s’y introduire complètement, laissant de l’eau s’écouler dans le café. Seule la capsule Nespresso se sort du piège, son aluminium se déformant sous la pression des harpons. Le nouveau modèle présenté mi-février, la Pixie, contient non seulement des harpons plus acérés, mais aussi des crochets sur la face avant de sa cage.
Sur le plan concurrentiel, l’usage de protections pour exclure des concurrents pourrait relever de l’abus de position dominante. C’est notamment ce qu’a dénoncé ECC dans une plainte à la Commission de la concurrence fin février. Celle-ci n’a pas encore ouvert d’enquête formelle et dit attendre des compléments d’information.
Nespresso nie avoir introduit ces harpons pour bloquer les clones de ses dosettes. Officiellement, cette «innovation» servirait à corriger une «faiblesse» du système Nespresso, explique son service de presse. «Nous avons réagi, dès 2008, à des remarques de clients se plaignant que des capsules restaient parfois bloquées dans la cage par un effet de succion», explique un porte-parole. Nespresso dit avoir introduit ces harpons fin 2009. Pourquoi si tard, alors que Richard Girardot confirme que l’effet de succion était connu dès 2003?
C’est là que les explications de Nespresso commencent à s’embrouiller. Le groupe assure que toutes les machines ont été modifiées «bien avant» l’arrivée sur le marché du premier concurrent, ECC, en mai 2010. Nos observations contredisent pourtant cette thèse. Le fait de trouver dans le commerce des machines de fabrication récente sans harpons tend à montrer que ceux-ci ont été introduits bien plus tardivement. Le service de presse nous a d’abord confié qu’il ne «s’expliquait pas» la présence de ces machines non modifiées: «Il doit s’agir de stocks qui traînent depuis 2009», a ensuite suggéré un porte-parole. Faux: Le Temps a pu trouver dans le commerce des machines Citiz fabriquées en février 2010 dépourvues de cette «innovation». Nespresso n’a corrigé que jeudi soir, confirmant avoir dû fabriquer «en double» des machines avec et sans harpons jusqu’en mars 2010, pour répondre à la demande.
Confusion suivante, cette fois à propos du brevet censé protéger les fameux harpons. ECC affirme avoir lui-même protégé ce système par un brevet dit «défensif», en juillet 2009, visant à empêcher Nespresso d’y avoir recours. C’est sur la violation de ce brevet que ECC a déposé la plainte à l’origine des perquisitions de jeudi à Paris.
«Notre dépôt de brevet est antérieur» à celui de ECC, assurait Richard Girardot mardi. Problème: un spécialiste en propriété intellectuelle interrogé par Le Temps n’en a pas trouvé trace. Or si une telle demande avait été déposée avant celle de ECC, celle-ci devrait avoir été rendue publique par l’Office européen des brevets (OEB). Là encore Nespresso a souhaité revoir sa réponse jeudi soir. Admettant s’être «trompé», Richard Girardot nous a confirmé que la demande du brevet harpon par Nespresso n’avait été déposée que le 7 avril 2010, près d’un an après celle d’ECC. Pour Nespresso, il reviendra désormais «aux juges de décider» de l’antériorité de l’invention.
Sur le fond, Richard Girardot ne conteste pas la «réelle volonté» de Nespresso de se protéger. «Mais sans machiavélisme», a-t-il ajouté mardi, lors d’un déplacement à Amsterdam où il a passé une partie de la semaine. Les harpons et crochets ne viseraient pas à bloquer des concurrents, répète-t-il, avant d’ajouter: «La preuve: la capsule Sara Lee passe dans nos machines.»
La remarque fait écho à une modification récente de la forme de la dosette de Sara Lee. Toutes les capsules «L’Or Espresso» disponibles sur les linéaires Casino ont en effet été changées début février, quelques semaines seulement avant la commercialisation en France de la très agressive Pixie. «Il n’y a pas d’entente avec nos concurrents, quels qu’ils soient», prévient d’emblée Richard Girardot. De son côté, Sara Lee dit avoir modifié sa capsule pour en réduire «l’empreinte environnementale». C’est du moins ce qu’explique un porte-parole au siège européen du groupe, basé à Utrecht.